Curator art video, la suite
[...] "L’instant de plusieurs histoires individuelles incrusté dans un instant indéfiniment dilaté de l’Histoire. Un instant qui produit le sentiment paradoxal d’un monde en suspens, indéfiniment figé, aussi figé que ces personnages, alors même que la caméra restitue un sens dans la durée, une exploration discursive. La caméra avance dans l’espace comme en exwplorant une infinité de bifurcations qui sont autant de narrations possibles. La succession des événements devient imprévisible. Les éléments signifiants progressivement découverts altèrent et changent continuellement notre interprétation de la scène; le mouvement de la caméra assemble les fragments épars d’une narration possible.
Pierre Huyghe. "The Host and the Cloud", 2009. Courtesy Marian Goodman Gallery, New York et Paris. Vidéo, HD, couleur, son surround, 2 h. 1 min. 30 sec., France. Courtesy of the artist, Marian Goodman Gallery, New York / Paris
Cette imbrication du réel et de la fiction, Pierre Huyghe l'interroge dans « Streamside Day » (2003), où un événement réel, celui d’une célébration dans un lotissement en construction, crée le début d’une fiction, celle d’une communauté possible et d’un imaginaire collectif. A l'inverse, dans « The Host and the Cloud » (2010), la fiction apparaît comme ce qui produit la réalité, celle des projections fantasmatiques, sociales et culturelles auxquelles chacun adhère si bien qu'il s’y confond. Ainsi ces personnages qui portent des masques lumineux, livres ouverts couchés sur les visages. Ces masques matérialisent notre nature d’êtres de projection et de fiction, notre situation entre soi-même et les autres, entre soi et l’histoire
Cette imbrication du réel et de la fiction, Pierre Huyghe l'interroge dans « Streamside Day » (2003), où un événement réel, celui d’une célébration dans un lotissement en construction, crée le début d’une fiction, celle d’une communauté possible et d’un imaginaire collectif. A l'inverse, dans « The Host and the Cloud » (2010), la fiction apparaît comme ce qui produit la réalité, celle des projections fantasmatiques, sociales et culturelles auxquelles chacun adhère si bien qu'il s’y confond. Ainsi ces personnages qui portent des masques lumineux, livres ouverts couchés sur les visages. Ces masques matérialisent notre nature d’êtres de projection et de fiction, notre situation entre soi-même et les autres, entre soi et l’histoire
Eija-Liisa Ahtila. "The House", 2002. Installation pour 3 projections avec son, couleur, 14 min., Finlande Photographie: Marja-Leena Hukkanen. Courtesy of Marian Goodman Gallery, New York / Paris. © Crystal Eye Ltd, Helsinki
Dans les films et les installations d’Eija-Liisa Ahtila, c’est encore le langage qui provoque l’imaginaire mais de façon très différente, car il s’incarne d'emblée dans le réel. Les scènes de lévitation que l’on retrouve dans « The House » (2002) et « The Annunciation » (2012) expriment bien cette différence. Dans « The House », un film 16mm présenté en installation multi-écran, nous suivons le voyage d'une femme, Elisa, à travers ses propres psychoses. Le récit quasi documentaire en voix-off, réalisé à partir d’entretiens avec des personnes ayant dépassé leurs troubles psychiques, conduit et provoque les images, leur circulation d’un écran à l’autre, jusqu’à cette séquence dans la forêt où Elisa entre en lévitation et traverse l’espace, littéralement décolle du réel. Le parallélisme avec la scène dans « The Annunciation » où le personnage de l’ange, en descendant du ciel, traverse la perspective pour faire son annonce, souligne une prépondérance du verbe, de son pouvoir de création et de fiction sur le réel. Mais dans les deux cas, Eija-Liisa Ahtila se garde d’être univoque, et maintient son propos dans une perspective réflexive et critique. Dans les deux films, l’artifice et la machinerie restent visibles: les filins blancs auxquels est suspendue Elisa, le fond d’incrustation vidéo et le harnachement loufoque de l’ange.
Eija-Liisa Ahtila interroge ainsi la construction et l’apparition d’une fiction individuelle ou d’une fiction collective à travers la figure féminine, et la fonction ambivalente du langage qui ‘fait apparaître’ aux moyens de l’artifice.
Sandro Aguilar. "Signs Of Stillness Out Of Meaningless Things", 2012. Fiction, hdv, couleur, 28 min., Portugal
Le début du film « Signs Of Stillness Out Of Meaningless Things » (2012) de Sandro Aguilar se place d’emblée comme une genèse de la fiction et une interrogation du langage comme puissance d’invention. Une voix d’enfant dit un texte, énonce des conjonctions temporelles entre événements quotidiens et phénomènes atmosphériques, pendant que nous voyons les images d’un laboratoire, une suite d’objets et de choses exposant différents niveaux du monde, du quantifiable et de l’observable du monde microscopique, du végétal et de l’animal, à l’impalpable d’un reflet et à l’inquantifiable de la culture et des connaissances contenues dans des livres. Le réalisme des énoncés de l’enfant s’amenuise, découvrant une possibilité nouvelle d’invention, celle de relier des ordres distants de langage, des registres différents, analogue au travail même de la fiction. Le film entier apparaît comme un déploiement de cette idée, que le langage et les images ont le pouvoir de relier ce qui a priori ne l’est pas. Et le montage devient ce qui, à l’intérieur du film, reprend cette fonction, relier des termes n’ayant pas de signification commune apparente, et produire des liaisons entre différentes dimensions. Le montage n’a donc pas ici pour fonction d’assumer la continuité d’un récit, ni celle d’une action ou de l’espace, il relie des états communs. Comme par exemple cet état d’attente, commun à deux personnages situés dans des lieux différents. Les personnages du film évoluent chacun dans une dimension distincte, jusqu’à ce que surviennent des états communs révélant une imbrication des dimensions, des échelles, des niveaux de réalité, et une communication possible entre eux. Le film se déroule ainsi en une succession de conjonctions temporelles, une oscillation de liens, entre l’infiniment petit et le monde tangible, entre le vivant et l’inanimé, entre les vivants, jusqu’à cette scène étonnante où l’un des personnages découvre quelque chose d’inconnu dans l’étang qu’il observe, une forme vivante simplement suggérée, monstrueuse, une figure de l’impensable et du non formulé.
Dans ces différentes réalisations contemporaines d’image en mouvement évoquées aujourd’hui sur les ondes, le questionnement du rapport à l’histoire (individuelle ou collective) est prépondérant, et la parole est le plus souvent envisagée comme puissance ambivalente : elle est ce qui provoque un imaginaire ou ce qui convoque une réalité enfouie, elle aliène autant qu’elle libère.
Oui, ces fictions contemporaines indiquent un questionnement existentiel et politique, des questions comme : comment l’Histoire influence-t-elle nos vies ? Comment une vie commune est-elle possible ?
Sans qu'apparaisse intrigue ni action véritable, au sens où on l’entend pour un film, pour une fiction classique, l’espace et le temps propres de ces œuvres se densifient en quelque sorte, prennent en charge les articulations du récit laissées vacantes, permettant d’envisager et de percevoir un rapport différent à la parole et au langage en général.
Ces œuvres d’art vidéo mettent en scène une action du langage même, verbal, sonore, visuel, comme intermédiaire entre différentes dimensions, entre réel et imaginaire, entre existence individuelle et devenir commun.
Les artistes, les œuvres et les musiques de Curator sont à retrouver sur le site, à bientôt pour une nouvelle édition !"
C'était Curator spécial ART VIDEO, une émission préparée par Hélène Bigot et diffusée par Sol FM en 2013.
Pour réentendre CURATOR un jour sur les ondes de Sol envoyez OUI! au 06 41 86 47 94. Votre souhait sera écouté.
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