Curator c'était l'émission qui parlait d'art contemporain sur la radio Sol FM. Cette merveilleuse fréquence oullinoise sévit dans le PAF depuis les années 80. Pendant deux ans, une fois par semaine, Curator y parlait des tendances qui agitent la création. Son retour sur les ondes du 100.7FM n'étant pas encore à l'ordre du jour, Le Bel Masqué vous offre la transcription d'une émission non-enregistrée.
Ce premier Article du Lundi nous plonge dans l'Art Vidéo.
Vaste sujet.
"Bonjour et bienvenue dans Curator, l’émission qui vous parle d’art contemporain sur Sol FM 100.7.
Dans l’archipel des images qui nous entoure aujourd’hui, l’image photographique commence à faire figure de « vieux continent ».
Cela dit, elle devient par la même occasion une référence pour les nouveaux mondes d’images qui sont découverts et explorés par les créateurs. L’ère technologique et la démocratisation des moyens appliquée à la photographie a généré de nouvelles pratiques et de nouvelles images mouvantes.
L’évolution des pratiques de l’image en mouvement au cours de ces 15 ou 20 dernières années, a vu soulever la question du documentaire et du rapport au réel. En regardant l’histoire même du cinéma, on constate bien que cette question la traverse de part en part : on pense à ces plans documentaires de Berlin dévasté dans « Allemagne Année Zéro » de Roberto Rossellini, ou à des images de Sarajevo chez Jean-Luc Godard, et d’autres. Mais aujourd’hui dans Curator, on décide de renverser cette question car si les approches documentaires vidéo sont légion, la chose n’épuise pas pour autant les enjeux du travail de la fiction et l’interrogation des formes narratives. Bien au contraire! Il s’agirait en quelque sorte des deux faces d’une même interrogation relative à la production des images et à notre rapport au réel.
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La vidéo c’est la possibilité de s’extraire des schémas classiques de production. D'abord offerte par les outils vidéo analogiques, c'est aujourd'hui la vidéo numérique la star du web.
Un peu d'histoire: depuis sa naissance dans les sixties jusqu'à son émergence dans les années 1980, la vidéo n’a pas seulement élargi le spectre des possibilités de réalisation, elle a aussi et surtout accéléré l’ouverture de son champ à un ensemble de praticiens d’autres domaines, à d’autres rapports et d’autres concepts.
A l’origine, les artistes investissaient surtout la forme docu, documentant des performances ou alors jouant avec des téléviseurs comme ce fut le cas pour le coréen Nam June Paik. C’est à cette période que de grands cinéastes, rois de la fiction, s'approprièrent ce médium, attirés par la forme ouverte ancrée dans un réel qu'il permettait. Ils trouvèrent en l’art vidéo un moyen de s’éloigner du long métrage de fiction, de ses lourdeurs de production et de tournage. Le réel c’est Dan Graham qui s’en saisit, suivit par Bruce Neuman dans les années 1980 en utilisant des images de caméras de vidéo-surveillance… Attention, Big Brother is watching you !
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Et en 2016 ? Hé bien il se trouve que depuis dix ans, de nombreux artistes et réalisateurs réinvestissent le champ de la fiction, intègrent la forme narrative dans leurs recherches et leur questionnement, et dessinent une géographie intermédiaire, fluctuante, où fiction et réel s’entrecroisent.
L’art vidéo aujourd’hui : l’exemple contemporain du travail de Crispin Gurholt, artiste norvégien, dans Curator, une illustration particulièrement significative de cette démarche, avec ces ‘Live photos’, mises en scène figées où des personnages réels se tiennent immobiles dans leur rôle propre ou celui défini par un scénario, la caméra traversant l’espace, explorant dans la succession les différents éléments de la scène. Liées à son travail photographique, ces mises en scène sont des installations avant d’être des vidéos, dont le statut est donc aussi bien celui de traces, de restitutions d’une expérience du regard dans un dispositif, qu’objets vidéos autonomes porteurs de leur propre expérience. C’est le cas par exemple de sa dernière vidéo « Havanna, Cuba », réalisée en 2012 pour la Biennale d’art contemporain de la Havane. Crispin Gurholt filme cinq personnages et différents objets coexistant dans un même espace, une femme à l’arrière d’une voiture, un homme s’apprêtant à taguer un mur, deux individus âgés assis à attendre, une photographie du Che, le drapeau national, un béret militaire… et fait émerger les narrations possibles d’un présent figé.
L’instant de plusieurs histoires individuelles pris dans un instant de l’Histoire, indéfiniment dilaté, produit le sentiment paradoxal d’un monde en suspens, indéfiniment figé comme ces personnages, alors même que la caméra lui restitue un sens dans la durée, l’explore dans la discursivité. La caméra avance dans l’espace comme à travers une infinité de bifurcations qui sont comme autant de narrations possibles. La succession des événements devient imprévisible. Les éléments signifiants progressivement découverts altèrent et changent continuellement notre interprétation de la scène, le mouvement de la caméra assemble les fragments épars d’une narration possible."
(suite du L'Article Du Lundi consacré à l'Art Vidéo lundi prochain. Bisou.)
(suite du L'Article Du Lundi consacré à l'Art Vidéo lundi prochain. Bisou.)